L’erreur est une cause fréquente de contestation des contrats. Mais dans quelles conditions exactes peut-elle entraîner la nullité d’un contrat ? La jurisprudence a précisé les critères, notamment avec l’arrêt Fragonard du 24 mars 1987.
Définition de l’erreur et de la nullité du contrat
L’erreur désigne le fait pour un contractant de se méprendre sur un élément essentiel du contrat. Si cette erreur porte sur une qualité substantielle de l’objet du contrat, elle peut entraîner la nullité de ce contrat. La nullité est la sanction la plus grave en droit des contrats : elle efface rétroactivement le contrat, qui est censé n’avoir jamais existé.
Vente d’un tableau attribué au peintre Fragonard
Les faits sont les suivants : en 1933, un tableau est vendu aux enchères publiques. Il est alors présenté comme étant simplement « attribué » au peintre Fragonard, donc avec un doute sur son authenticité. Après la vente, le tableau est finalement authentifié comme une véritable œuvre de Fragonard. Le vendeur décide alors de demander l’annulation de la vente pour erreur sur la substance de la chose vendue.
Quid de l’erreur en présence d’un doute connu ?
La question est la suivante : peut-on invoquer l’erreur lorsqu’il existait dès le départ un doute sur la chose vendue ? En l’espèce, le tableau avait été vendu comme étant simplement attribué à Fragonard. Le doute était donc présent dès l’origine.
La Cour de cassation devait déterminer si l’acceptation d’un doute, d’un aléa, sur la chose vendue au moment du contrat, exclut la possibilité d’invoquer par la suite l’erreur. Autrement dit, est-ce que l’on peut invoquer l’erreur sur la substance alors même que l’on avait accepté une incertitude sur cette substance ?
Exemple illustratif
Prenons un exemple concret pour bien comprendre la problématique :
Jean vend à Pierre un bijou ancien datant du 18ème siècle. Au moment de la vente, Jean précise bien à Pierre que l’origine du bijou n’est pas certaine, il pourrait avoir été fabriqué au 19ème siècle. Pierre accepte malgré tout d’acheter le bijou. Quelques mois plus tard, un expert authentifie que le bijou date bien du 18ème siècle. Pierre peut-il invoquer l’erreur et demander l’annulation de la vente ?
L’acceptation de l’aléa exclut l’erreur ultérieure
Dans son arrêt du 24 mars 1987, la Cour de cassation répond par la négative et rejette la demande d’annulation du vendeur. Elle affirme que l’aléa accepté sur la chose vendue au moment du contrat chasse l’erreur. Même si le doute se dissipe après coup, on ne peut invoquer l’erreur puisque l’incertitude avait été acceptée dès l’origine.
A contrario, l’erreur est possible lorsque le doute n’existait pas au départ et n’a été révélé qu’après la conclusion du contrat, à l’insu d’un contractant convaincu de la certitude. C’est ce qu’a dit l’arrêt Poussin de 1978.
Mais lorsque l’aléa a été accepté dès le départ, l’erreur est inexcusable. Ce principe est aujourd’hui inscrit à l’article 1133 du Code civil sur le consentement.
Bon à savoir
La jurisprudence a également précisé que si l’aléa accepté au départ dégénère en réelle tromperie, l’erreur redevient possible. Par exemple, si le vendeur savait pertinemment que le tableau était un vrai Fragonard mais l’a sciemment présenté comme « attribué », son comportement dolosif rend l’erreur invocable.
En résumé
L’enseignement principal est donc le suivant : l’acceptation d’un aléa sur la chose vendue au moment du contrat exclut toute possibilité d’invoquer par la suite l’erreur sur cette chose, même si le doute vient à se dissiper. L’arrêt Fragonard est ainsi venu préciser les conditions d’invocabilité de l’erreur, dans un souci d’équilibre entre sécurité juridique et équité.