arrêt Martin

Les contrats administratifs sont devenus un moyen d’action privilégié des personnes publiques. On estime qu’ils représentent aujourd’hui près de 15% des dépenses publiques. Cependant, leur contestation par les tiers a longtemps été impossible, ce qui pouvait causer des situations problématiques. C’est avec l’arrêt Martin du 4 août 1905 que le Conseil d’Etat a commencé à dessiner les contours d’une contestation encadrée de ces contrats.

L’interdiction initiale de tout recours contre les contrats administratifs

A l’origine, le recours pour excès de pouvoir (REP) contre un contrat administratif était tout simplement interdit. Cette jurisprudence reposait sur le principe d' »indivisibilité du contrat » : on ne pouvait attaquer que l’ensemble du contrat ou rien du tout. Seuls les cocontractants pouvaient saisir le juge du contrat pour en demander l’annulation. Cette situation laissait les tiers sans possibilité de contester un contrat administratif qui pouvait pourtant porter atteinte à leurs intérêts.

Par exemple, les riverains d’un chantier réalisé dans le cadre d’un contrat de travaux publics ne pouvaient pas contester ce contrat, même s’il avait des répercussions négatives sur leur cadre de vie. Idem pour un contribuable local qui aurait voulu remettre en cause un contrat passé par sa commune.

La distinction entre actes détachables et actes indivisibles du contrat

Dans l’arrêt Martin, le Conseil d’Etat va apporter une première brèche. Il distingue les actes « détachables » du contrat, qui le préparent et le rendent possible, des actes « indivisibles ». Les premiers peuvent faire l’objet d’un REP par les tiers, pas les seconds. Ainsi, la délibération autorisant la signature d’un contrat peut être contestée, mais pas ses clauses. C’est un premier pas vers l’ouverture d’une contestation encadrée.

Bon à savoir : les actes détachables du contrat sont généralement ceux qui émanent de l’administration en amont de la conclusion du contrat. Outre la délibération autorisant sa signature, il peut s’agir de l’acte désignant l’attributaire du contrat à l’issue d’une procédure de mise en concurrence.

Élargissement progressif du recours aux tiers intéressés

Par la suite, le recours pour excès de pouvoir va être étendu à de nouvelles hypothèses. En 1996, l’arrêt Cayzeele ouvre le REP contre les clauses réglementaires des contrats. Puis en 2007, avec l’arrêt Tropic Travaux Signalisation, les concurrents évincés peuvent contester les contrats de la commande publique. Petit à petit, le cercle des requérants potentiels s’élargit.

Un entrepreneur explique : « Avant 2007, j’avais beau trouver qu’un appel d’offres était biaisé au profit d’un concurrent, je ne pouvais rien faire contre le contrat une fois qu’il était signé. Désormais, je peux saisir le juge si je pense que la procédure a été mal menée. »

Consécration d’un recours pour tout tiers susceptible d’être lésé

En 2014, le Conseil d’Etat opère un revirement majeur avec l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne. Désormais, tout tiers qui justifie d’un intérêt lésé de manière suffisamment directe et certaine peut former un recours de plein contentieux contestant la validité d’un contrat administratif. Cette évolution parachève l’ouverture d’une contestation encadrée initiée plus d’un siècle plus tôt.

Par exemple, un riverain explique : « La mairie a passé un contrat avec une salle de spectacle qui fait beaucoup de bruit le soir. Avant 2014, je ne pouvais rien faire, maintenant je peux contester ce contrat devant le juge administratif. »

Ainsi, en un siècle, la jurisprudence est passée d’une interdiction absolue à une ouverture maîtrisée du recours, afin de garantir un nécessaire équilibre entre stabilité des relations contractuelles et protection des tiers.